Vous vous réveillez un matin et votre argent liquide devient illégal avant même le petit-déjeuner. C’est la réalité vécue par des millions de Birmans le 5 septembre 1987 lorsque le général Ne Win déclara caduques les billets de 25, 35 et 75 Kyat, effaçant du jour au lendemain 80 % des épargnes. Quatre décennies plus tard, le coup d’État de février 2021 réédite la tragédie : banques fermées, distributeurs vides, Kyat en chute libre. Au milieu du chaos, une voie alternative émerge : le Bitcoin en Birmanie, monnaie sans frontière ni maître, qui file désormais entre les barbelés de la junte.
Dans cet article, vous découvrirez comment la cryptomonnaie se mue en bouée de sauvetage face à la dévaluation monétaire, comment les dissidents l’utilisent pour financer la révolution et pourquoi, paradoxalement, un pays en guerre se révèle un laboratoire d’innovation financière.

Quand le Kyat devient poussière
Depuis le putsch, la monnaie nationale a perdu plus de 160 % de sa valeur face au dollar. L’inflation galope, les prix du riz et de l’essence s’envolent, et les guichets automatiques distribuent des liasses inutiles. L’or, refuge traditionnel, grimpe de 190 %, mais reste hors de portée des salaires moyens. Le message est limpide : toute épargne laissée entre les mains de l’État peut être confisquée ou dévaluée à volonté. Bitcoin, lui, ne connaît ni couvre-feu ni censure.
Des portefeuilles qui ne gèlent pas
Contrairement aux comptes bancaires, un portefeuille Bitcoin repose sur une simple phrase secrète de 12/24 mots. En prévision d’un coup dur, que vous viviez à Yangon ou Londres, vous pouvez transférer une partie de votre salaire en BTC. Si la situation empire, vous partez avec vos clés mémorisées ; pas besoin de valise. Cette mobilité numérique devient vitale quand la junte bloque les virements internationaux et que les cartes bancaires sont suspendues.
Le Bitcoin en Birmanie s’utilise de 3 manières. Les étudiants achètent des fractions de bitcoin via des échanges peer-to-peer sur Telegram. Les ONG reçoivent des dons en BTC via des adresses publiées sur Signal. Les diasporas thaïlandaises et singapouriennes convertissent des dollars en stablecoins puis en Kyat au marché noir sans jamais franchir une frontière physique.
Digital Kyat : la monnaie rebelle
Pour structurer l’économie parallèle, le gouvernement d’unité nationale (NUG) a lancé le Digital Myanmar Kyat (DMMK) sur la blockchain Stellar. Chaque DMMK est adossé au taux du marché noir du Kyat et circule via l’application NUGPay. Résultat : 600 milliards de Kyat échangés depuis 2022, des pharmacies qui acceptent les paiements par QR code et des milices qui financent équipements médicaux et carburant sans passer par les banques contrôlées par la junte.
Le financement par QR
Récemment, après le séisme de magnitude 7,7 en mars 2025, les zones rebelles ont été coupées de l’aide humanitaire. Le ministère des Affaires humanitaires du NUG a publié une adresse DMMK ; en trois jours, 300 000 dollars ont afflué depuis la diaspora australienne. Les fonds ont immédiatement été convertis en fournitures médicales via des circuits locaux, évitant les points de contrôle militaires. Chaque transaction est publique, traçable, mais anonyme : un donateur à Bangkok verse des stablecoins, un villageois à Mandalay encaishe des Kyat physiques sans jamais révéler son identité.
Bitcoin ou DMMK ?
Le débat fait rage. Bitcoin offre la résilience d’un réseau mondial indépendant, mais sa volatilité peut décourager les paiements récurrents. Le DMMK est stable, mais reste une monnaie d’État éphémère. Beaucoup combinent les deux : le Digital Kyat pour les dépenses quotidiennes, Bitcoin pour l’épargne et les gros montants. Un analyste birman, résume : « Bitcoin est notre dollar, le DMMK notre monnaie locale. »
Défis et pirouettes
L’électricité est coupée la moitié du temps ? Des panneaux solaires alimentent des nœuds Lightning Network. Pas d’internet ? Des réseaux mesh diffusent les transactions via Bluetooth. Peur des points de contrôle ? Les vendeurs P2P changent de pseudo chaque jour et utilisent des VPN satellites. L’innovation naît là où la pression est la plus forte.
Une économie parallèle en pleine croissance
Aujourd’hui, des marchands de rue acceptent les paiements Lightning, des professeurs reçoivent des salaires fractionnés en satoshis et des familles achètent des billets de bus grâce à des QR codes. L’adoption reste embryonnaire, mais elle progresse de façon organique ; chaque coup dur de la junte accélère la transition. Malgré une interdiction de toucher aux cryptos en 2020, même la Banque centrale de la junte a lancé son propre stablecoin. Mais les citoyens l’évitent comme la peste ; le pouvoir central est justement ce qu’ils fuient. Un exemple à suivre lorsqu’on nous proposera l’euro numérique d’ici quelques mois.
Bitcoin en Birmanie : le futur se joue dans les montagnes
Dans les villages du Sagaing où la 4G est un luxe, un mineur solaire fait tourner un nœud Lightning. À Yangon, une étudiante paie ses cours en DMMK. Dans les camps de réfugiés, un médecin reçoit des dons BTC pour acheter des médicaments. La Birmanie, en plein chaos, devient le laboratoire vivant d’une économie sans banque centrale. Le Bitcoin en Birmanie n’est pas une speculation ; c’est un ticket vers la liberté.
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