Il y a quelques jours, Delphi Capital a rendu public son dernier rapport en date concernant l’état des lieux du gaming dans le monde de la crypto. Cerise sur le cake, le rapport est gratuit et lisible par tous sur cette page. Que pouvons-nous en retirer ?
D’abord que l’industrie classique du jeu vidéo n’accueille pas à bras ouverts l’arrivée des initiatives crypto. Ces derniers mois plusieurs communautés de joueurs ont en effet marqué leur désapprobation lorsqu’un de leur jeu proposait des incursions dans le domaine crypto. Même si Delphi Digital est à 100% derrière le monde des blockchains, il reconnait qu’il y a des raisons valables à ce « backlash ». Que le gaming crypto a encore un long chemin devant lui et qu’il y a peut-être d’autres solutions à trouver en termes de monétisation. C’est en prenant en compte ces remarques qu’ils proposent un nouveau modèle qu’ils nomment PlayFi.
Pour cela ils remontent jusqu’en 1938 et le concept du « Cercle magique » instauré par Johan Huizinga dans son livre Homo Ludens (homme qui joue). Ou l’essai de 700 pages, plus récent, de Katie Salen & Éric Zimmerman « Rules of Play: Game Design Fundamentals » (2003).
Le cercle magique
L’idée c’est que le cercle magique est une illusion partagée entre personnes qui cherchent à se défaire des contraintes de la réalité (peur, anxiété, responsabilité …). Tout ce qui se passe à l’intérieur du cercle (et qui n’aurait aucune valeur en dehors) est validé par les autres participants en immersion. Ce qui permet d’échapper temporairement à une réalité. Et parfois d’entrer dans un état de « flow » ou de concentration intense qui vous fait oublier tout le reste. Là est tout l’objectif d’un jeu.
Et les jeux cryptos ont, par défaut, un problème pour le joueur lambda : sa composante financière. Ces dernières années l’industrie du jeu vidéo a fait de nombreuses tentatives pour maximiser ses gains. Souvent au détriment de la bourse du joueur : achats de mises à jour régulières, système d’abonnement, objets à posséder pour faire la différence à haut niveau, etc. Il y a encore peu il suffisait d’acheter son jeu et d’y jouer jusqu’à le finir. Pas de frais cachés ou supplémentaires. Et comme la plupart des jeux cryptos demandent de posséder un token pour effectuer des transactions, des NFTs à acheter pour démarrer … cela est vu comme une nouvelle manne financière.
Cela ne veut pas dire que toutes les formes de monétisation sont mauvaises, mais plutôt que nous devrions chercher à monétiser d’une manière qui ne nuise pas à l’idée de jeu de base ni au véritable jeu compétitif.
Delphi Digital
L’histoire de la monétisation en jeu
Le rapport revient ensuite sur l’histoire de la monétisation dans le jeu vidéo, de l’âge d’or du gaming (fin 1970/1980) jusqu’à nos jours. J’aime beaucoup qu’ils replacent dans leur contexte les bornes d’arcade de l’époque. Pour avoir le droit d’y jouer, il fallait sortir de chez soi, faire la file et enfin insérer une pièce de monnaie dans la machine. Votre retour sur investissement était donc directement proportionnel à votre niveau. Tout le monde démarrait a égalité avec le même nombre d’essais (vies) et plus vous étiez bon, plus vous profitiez longtemps du jeu. Et pour avoir un meilleur niveau, il fallait jouer plus. CQFD. La monétisation se faisait déjà en quelques sortes sous forme d’un micropaiement à chaque partie et tout le monde trouvait cela normal. D’ailleurs les jeux ne rapportaient pas tellement moins qu’aujourd’hui (une fois adapté à l’inflation).
Ce qu’il faut retenir c’est que tout le monde démarrait sur un pied d’égalité. La compétition était saine, sans personne disposant d’un avantage quelconque. Les utilisateurs avaient la garantie qu’ils pouvaient gagner uniquement grâce à leurs compétences pures, différence avec la plupart des jeux à l’ère moderne. Le fair-play et le frisson du risque étaient présents (stress de la dernière vie, regard du public, Graal d’apparaitre dans le Top 10 sur l’écran final …).
Seconde génération
Ensuite les gens se sont enfermés chez eux et ont pu jouer à n’importe quoi n’importe quand. Ordinateurs, consoles, Internet puis smartphones ont perpétué et cimenté cet aspect. En payant un jeu x€ avec la possibilité de recommencer autant de fois que l’on voulait, sans subir le regard des autres, l’aspect compétitif a disparu. Plus tard avec l’apparition des jeux free-to-play, c’est l’aspect égalitaire et fair-play qui a été sacrifié. Vous pouvez jouer gratuitement, mais pour faire partie des meilleurs la somme d’argent investie fera souvent la différence (en puissance ou en temps) ou vous devrez subir des tonnes de publicités.
Les jeux ont alors étés développés sur d’autres bases que celles du cercle magique vu plus haut. Ils l’ont étés avec des vues marketing, des méthodes de rétention et en cherchant à vous rendre dépendant. Exit l’état d’immersion, bonjour les interruptions obligatoires pour continuer à progresser sans raquer. Que ce soit in-game (publicités à regarder, partages sociaux pour gagner des points …) ou en-dehors (notifications diverses, bonus en cas de connexion quotidienne …).
La blockchain et le crypto gaming
La question est de savoir si la blockchain peut être utilisée de manière à remettre le cercle magique au centre du village. Sans rester dans les travers de la monétisation récente. Delphi Digital propose un petit tableau pour établir les avantages existants aussi bien pour les joueurs que pour les développeurs.
Pour les joueurs les avantages sont intéressants :
- droits de propriété numérique
- liquidité sur le marché secondaire
- historique complet et vérifiable des objets
- droit de vote sur les évolutions du jeu (gouvernance)
- spéculation (objet qui prend de la valeur avec le temps et l’évolution du jeu)
- profil exportable d’un jeu à l’autre (réputation)
- gains divers (récompense pour une bonne place dans une compétition, pour staker le token du jeu …)
Comme à l’époque des bornes d’arcade on en revient à des micropaiements (frais de transactions & co), un système compétitif et plus égalitaire. Avec l’avantage de la flexibilité du crypto gaming (utiliser ses objets dans plusieurs jeux, les revendre, etc.).
Pour les développeurs et autres créateurs :
- générer des revenus plus faibles (quelques centimes à la transaction), mais sur chaque joueur plutôt que sur les 2-3% de ceux prêts à payer
- profiter du marché secondaire (transactions également)
- possibilité de redistribuer une partie des gains aux joueurs
- interopérabilité : possibilité d’ouvrir le jeu sur plusieurs blockchains, de s’ouvrir à d’autres communautés en intégrant leurs NFTs & co …
- pas d’intermédiaire : pas d’App Store qui prend 30% sur chaque vente, pas de deadline d’un studio à respecter, etc.
Etat des lieux du crypto gaming
Ensuite l’équipe derrière le rapport fait l’état des lieux du système Play2earn à l’heure actuelle. Et reconnais que nous en sommes encore aux balbutiements du genre et qu’il y a beaucoup de curseurs à régler. La demande est souvent disproportionnée par rapport à la réalité. Ainsi le token d’un jeu va être très demandé (et son prix exploser) alors qu’il n’y a concrètement pas grand chose derrière en dehors de quelques illustrations et de belles promesses. C’est simplement le jeu de la spéculation. Ce qui va pénaliser le vrai joueur, qui lui se retrouvera à devoir acheter un token plus cher que ce qu’il aurait dû être.
Mais des solutions peuvent être mises en place selon Delphi. Comme de limiter la transférabilité des consommables dans les premiers jours du jeu. Ou mettre en place une dégradation des objets au fil du temps (il n’y aurait pas d’intérêt à les acheter pour les thésauriser puisqu’ils perdraient de la valeur juste en étant stocké). « Cela tempèrerait également les prix des actifs au début. Le jeu n’aurait pas d’actifs générant des rendements ouverts dont les prix sont temporairement poussés à des prix astronomiques par des spéculateurs« . Pour rappel Delphi a mis en place le token AXS, du jeu Axie Infinity, en 2019. Et si tout n’a pas été parfait, loin de là, ils en ont retiré de l’expérience.
Notamment le fait que pour l’instant les participants ne sont pas là pour l’amour du jeu auquel il joue, mais avant tout pour les gains à en tirer. Cette première génération de jeux crypto est donc plutôt une extension de ce qui fonctionne déjà dans le jeu traditionnel. Mais avec certaines nouvelles caractéristiques qui le rendent attractif et intéressant pour le futur. Les développeurs devraient aussi peut-être penser la monétisation comme une surcouche au jeu plutôt que comme l’élément central. Ce qui amène à lancer la monétisation avant même d’avoir pensé en détail à comment elle allait s’appliquer in game, ni si elle avait un réel intérêt à exister.
Le concept PlayFi
Certains jeux sont toujours appréciés en 2022 alors qu’ils existent depuis 20 ans ou plus (Super Mario Kart, Counter Strike …). Parce qu’ils respectent les principes fondamentaux du cercle magique. L’idée sera donc d’avoir des jeux qui respectent ces fondamentaux, tout en monétisant ce qui se fait autour : les diffusions, le merchandising, les paris et prédictions … comme cela se fait sur les compétitions sportives. En somme, séparer la sphère financière des valeurs du jeu. La différence sur un terrain de sport ne se fait pas sur l’équipement que portent les joueurs par exemple. Elle se fait sur le savoir-faire de chacun.
L’aspect crypto pourrait principalement servir de moteur de comptabilité backend. Par exemple pour gérer la billetterie ou les paiements. Ou encore les contrats NFT des joueurs (réputation sur la blockchain), les smart contract de primes lors de tournois, etc. Il ne devrait pas intervenir pour créer des frictions dans l’expérience gaming, comme celle qui existe dans le fait de devoir posséder un NFT pour jouer.
En somme, passer d’un modèle play-to-earn (joue POUR gagner) à un modèle play-and-earn (joue ET gagne).
Conclusion
J’ai essayé de vous résumer en français ce rapport sur le crypto gaming en anglais afin de vous faciliter la vie. Ce sera aussi une petite sauvegarde si un jour ils décident de le passer en accès limité. Mais si vous lisez l’anglais, je vous recommande sa lecture, il soulève de nombreux points qui méritent réflexion. Et c’est fait de manière plus complète sans les raccourcis que j’ai pu prendre dans cet article.
Merci encore à l’équipe de Delphi Digital de nous proposer un travail de ce type et de le mettre en accès gratuit 😉
Lire le rapport dans son entièreté : https://members.delphidigital.io/reports/the-future-of-crypto-gaming